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Je suis Charliberté !
2 janvier 2017

Une petite Guerre des idées pour commencer l'année...

couv laïcité

Le pitch :Thibault, élève de 3ème, moyen et décontracté, est un modèle de modération. Sans doute le doit-il à sa mère qui l'abreuve d'enseignements bouddhistes. Un matin d'octobre, l'une des élèves de sa classe, la séduisante Kristina, se présente avec une mèche blanche sur la tempe droite. Ce n'est pas une coquetterie, mais un signe de ralliement au mouvement d'inspiration créationniste qu'elle vient de fonder. Son but est de faire connaître et partager sa foi extrême, et surtout de recruter de nouveaux adeptes pour diffuser cette doctrine religieuse très rigoureuse. La réaction ne se fait pas attendre. Kader, le plus proche ami de Thibault, voit dans ce prosélytisme au sein du collège une menace pour le principe de laïcité. Alors il créée son propre mouvement qu'il baptise les Tricolores. Son credo est de défendre farouchement les valeurs républicaines, dont la plus importante en l'occurrence est justement la laïcité.

            Emporté par son tempérament passionné, Kader entame une véritable guerre idéologique contre les Mèches blanches qui, en réaction, se radicalisent encore davantage. Et Thibault ? Il est au centre de cette folie naissante, au plein sens du mot, puisqu'il a des vues sur la jolie Kristina et que celle-ci s'est mise en tête de s'en faire un allié, au grand dam du chef des Tricolores.

            L'intervention de certains professeurs, les débats, les mesures disciplinaires et réglementaires de l'Administration du collège ne parviennent pas à apaiser totalement les tensions entre factions ennemies. Sans doute, malgré tout, la paix finira-t-elle par revenir, sauf si l'une des parties se met en tête de rallumer le feu dans les têtes. Comment ? En commettant un attentat. C'est alors que Thibault entre dans le jeu et démontre combien la sagesse est puissante pour éteindre ce type d'incendie…

Les premières pages : Chapitre 1

J'menfoutiste zombifié par son smartphone

            L'autre jour, j'ai entendu un homme politique, élu de la République, affirmer que « à 15 ans, on n'a pas encore de conscience politique. » Ah bon !

            Un autre interlocuteur, une femme psychologue expliquait doctement : « Si un grand nombre d'adolescents manquent d'intérêt pour la politique, c'est parce qu'ils ne peuvent pas voter avant 18 ans, et aussi parce qu'ils sont encore davantage enfants qu'adultes ». Et de démontrer que l'enfant n'a pas une vision très précise des concepts de loi, de responsabilité individuelle ou collective, de représentativité, de négociation… Mince alors !

            Et puis j'ai lu ailleurs des trucs du genre : « Les jeunes n'ont aucune culture politique. Rien d'autre ne les intéresse que leur petit monde. Ni le passé, ni l'avenir ne les concerne. Ils sont complètement obnubilés par leur smartphone. Comme les enfants, ils ne savent diviser le monde qu'entre les gentils et les méchants. » Ou encore « Les collégiens ne pensent pas par eux-mêmes, mais comme leurs parents ! » Bigre !

            Oui donc, moi, Thibaut Leroy, 15 ans, élève de troisième, je n'aurais pas de conscience politique, je me ficherais de mon avenir autant que du passé et de ma première paire de baskets, je serais un enfant manichéen qui ne comprend rien à la marche du monde, doublé d'un j'menfoutiste zombifié par son  smartphone… Quoi d'autre encore ? Un petit irresponsable immature qui devra attendre 18 ans pour, enfin, devenir un citoyen plein et entier !

            Bon, c'est vrai, je l'avoue, j'étais un peu comme ça en ce début de troisième. Sur bien des sujets sérieux, j'aurais sans état d'âme pu avancer cette justification : « Oh vous savez, moi, je n'y connais rien. », et de préciser en pensée rien que pour moi « je m'en fiche, en fait ». Prenons l'exemple de la laïcité. J'aurais été bien en peine d'en donner une définition correcte. Je me soupçonne même d'avoir été capable de répondre une ineptie du style : « Oh ben, c'est un truc de morale catho, genre les dix commandements. Ne mets pas tes doigts dans ton nez, dis bonjour à la dame… » Eh oui, c'est sans doute vrai, j'étais un parfait j'menfoutiste, zombifié par son smartphone. Mais depuis les événements qui ont marqué le premier trimestre de cette année scolaire, quelque chose s'est éveillé en moi, une prise de conscience s'est faite, une conscience politique est apparue… Non, mieux que cela, une conscience humaine est arrivée à maturité !

            Il a fallu pour cela que dans ma classe échoue un fille super mignonne, très intelligente et… Mèche blanche !

Chapitre 2

Naissance d'un courant de pensée

            Ma rentrée en classe de 3ème a été un pur bonheur. Outre que j'y ai retrouvé mes copains et quelques filles sur lesquelles j'avais flashé, j'avais l'impression d'entrer dans l'antichambre de la cour des grands. Ce serait ma dernière année avant le lycée et avant que commencent les choses sérieuses, et je ne pensais pas seulement aux études –l'autonomie, la liberté, la considération qu'on porte aux grandes personnes, c'est important aussi.

            Dans mon entourage relationnel, je ne comptais qu'assez peu d'amis proches, mais une foultitude de connaissances avec lesquelles j'entretenais des relations ludiques, épisodiques et… érotiques quand il s'agissait de filles. L'honnêteté m'oblige à préciser que cet érotisme se situait principalement au niveau fantasmatique, car pour le reste… J'étais alors profondément et désespérément célibataire. Non pas que je sois spécialement moche – un grand brun aux yeux marron, rieurs et doux. Allure un peu dégingandé, mais pas maigre ! Y'a du biceps, mais point trop. J'ai un nez un peu long à mon goût, mais un sourire qui tue… Bref, je suis dans la bonne moyenne – ni timide ni maladroit… quoi que, ça, si un peu. La vérité, c'est que je suis difficile. En toute relation, pour m'engager, je dois apprécier autant le contenant que le contenu, c'est-à-dire la personnalité, le caractère, mais pas forcément le QI. Les pouffiasses vulgaires, les pimbêches ou les précieuses ridicules, je les laisse à ceux qui leur ressemblent. Je suis donc exigent. Pourtant, en ce début d'année je me suis accordé une plus grande marge de tolérance, car avec les bonnes résolutions concernant mes résultats scolaires jusque là à peine corrects, j'étais aussi déterminé à réaliser l'exploit de sortir avec une fille, si possible canon. Mon objectif ultime était l'une des élèves de ma classe, limite top modèle mais hélas dotée d'une personnalité qui ne me correspondait pas vraiment, c'est le moins que je puisse dire. Je m'étais lancé à moi-même ce défi pour faire un sort à mes complexes et accessoirement aux remarques humiliantes de certains de mes « amis bien intentionnés » sur mes contre-performances dans le domaine de la séduction. Ce fut une belle erreur, pour moi qui n'aime que les relations fondées sur la sincérité, la confiance et la clarté. Ce fut une erreur, car je ne visais qu'à épater la galerie et me rassurer sur moi-même, deux motivations très dangereuses. Mais ce fut aussi une riche expérience, si l'on admet que nos erreurs sont le terreau de nos réussites.

            Le premier mois est passé, sans que je puisse retenir un seul événement qui mériterait d'être relaté. Puis ma cible, mon défi impossible, j'ai nommé Kristina, s'est présentée un matin au collège avec une mèche blanche sur la tempe droite. Juste une. C'était déroutant, mais pas vraiment vilain.

            Kristina Miriátová est d'origine slave et cela se voit. Elle a une peau très claire, des yeux bleu ciel et une vaporeuse chevelure châtain cuivré. Ses pommettes hautes donnent à son regard quelque chose d'animal, de très troublant lorsqu'il vous fixe. Son tempérament de fer, c'est-à-dire froid et calculateur, se lit autant dans ses prunelles perçantes que dans son attitude qu'on sent perpétuellement sous l'emprise de son mental. Elle possède une personnalité de dominante, dont l'obsession est la maîtrise de tout. Peut-être qu'une analyse psychanalytique révèlerait une enfance soumise au carcan d'un père d'une extrême sévérité. Elle n'aurait eu d'autre choix que de se laisser briser par cette oppression ou alors d'élaborer des stratégies de survie telle qu'une muraille de défense autrement appelée dureté. Elle a pu aussi choisir de simuler l'obéissance silencieuse, de façade, c'est-à-dire de développer une grande expertise dans l'art de la dissimulation, de l'évitement, du mensonge… Et tout cela au service d'un ego surdimensionné, machiavélique à souhait. Brrr ! C'est à frémir d'horreur.

            En écrivant cela, je pourrais laisser croire que ces mots viennent de moi ; en vérité, je les ai lus dans un magazine brossant le portrait psychologique d'une redoutable femme d'affaires. Je trouve qu'ils la décrivent assez fidèlement, du moins telle qu'elle était à ce moment-là.

            Kristina donc est entrée en classe ce matin-là, la dernière et très légèrement en retard, de manière à ce que chacun, élèves et prof, soit installés et ne manquent pas de la remarquer. Il y a eu un ou deux petits sifflets admiratifs, pas mal de moues perplexes… Le prof de maths a feint l'indifférence. Et le cours a commencé. Je crois que de toute la classe, je dois être le seul a avoir deviné une intention autre qu'une simple fantaisie esthétique. À l'évidence Kristina souhaitait attirer l'attention sur elle, et susciter l'interrogation : pourquoi cette mèche blanche ? Ce qui restait mystérieux était sa motivation, car les regards elle les obtenait naturellement, tout le temps, partout, sans avoir besoin de se décolorer les cheveux.

            Il y avait donc autre chose, que j'ai découvert quelques jours plus tard…

            Dans la cour, j'ai repéré une autre mèche blanche, portée par Claudia, une fille que je savais être une amie proche de Kristina, bien qu'elle soit dans la seconde troisième du collège. Puis le lendemain, en cours d'histoire, Kristina est entrée en classe suivie de ses deux affidées, Coralie et Domitille. La première était une petite brune effacée mais rusée, pour ne pas dire retorse, qui sans doute se sentait valorisée d'être dans le premier cercle de la dominante de la classe. La seconde était à l'inverse mignonne, mais d'une bêtise qui en devenait suspecte puisqu'elle fréquentait Kristina. Ou alors, elle cachait bien son jeu, parfaitement même puisque ses notes plafonnaient sous la moyenne, sauf en gym. Là encore, personne ne réagit à cette étrange épidémie, somme toute sociologiquement explicable.

            C'est quand la mode de la mèche blanche a atteint deux garçons qu'enfin, on, c'est-à-dire moi, voulut savoir à quoi cela rimait. Je le fis à la première heure du matin, en français, en interpellant l'un des deux nouveaux contaminés, qui se trouvait d'occuper la table derrière moi :

            – Eh, Gaétan, on peut savoir ce qui vous arrive ? Si c'est un virus que vous avez attrapé, j'aimerais autant être prévenu, parce qu'il a l'air super contagieux.

            Gaétan était le profil type du garçon transparent, quasi muet en classe, complexé à mort et globalement inintéressant. L'autre était en revanche beaucoup plus visible. C'était un beau brun qui faisait des ravages chez ces demoiselles, à l'exception notable de Kristina, en tout cas jusque là. Je le soupçonnais d'avoir adopté la mèche blanche uniquement pour se rapprocher d'elle, ce qui me contrariait grandement.

            Gaétan a esquissé un sourire gêné, puis m'a donné une explication qui m'a laissé perplexe :

            – C'est le signe de ralliement d'un groupe de pensée qu'en a marre de la décadence et de la médiocrité de nos dirigeants.

            J'ai ouvert de grands yeux. Fichtre ! L'homme invisible venait d'aligner une phrase complète, et quelle phrase ! J'ai voulu lui demander de me répéter ça, mais c'est M. Rorjac, notre prof de Lettres, qui s'en est chargé :

            – On pourrait savoir ce que vous avez de si important à vous raconter, là-bas au fond, alors que le cours a commencé ?

            – En fait, monsieur, je n'ai pas tout compris, ai-je répondu. C'est au sujet de la mode de la mèche blanche. S'il te plaît, Gaétan, tu pourrais redire ce que j'ai cru entendre ?

            – Non, je vais le faire ! est intervenue Kristina.

            L'homme invisible a refermé la bouche, et je pense qu'il a été bien soulagé de ne pas avoir à se mouiller davantage.

            – Nous vous écoutons.

            – La mèche blanche est un signe de ralliement. C'est celui d'un courant de pensée que j'ai créé.

            – Vous avez créé un courant de pensée ? releva l'enseignant.

            – Oui, pourquoi ? Ça vous paraît bizarre ?

            – Non, mais un courant de pensée, ça ne naît pas comme ça. Il doit avoir une base historique, des inspirateurs, des textes fondateurs le plus souvent. Mais voilà qui est très intéressant. Avez-vous des références littéraires ou philosophiques ?

            – Oui.

            Et elle s'est tue. Elle attendait sans doute que M. Rorjac la relance, à moins que ce soit pour ménager le suspense. Personnellement, j'avais une légère idée de sa source d'inspiration, car j'avais entendu dire que ses parents étaient des religieux très pratiquants, limite ultra-orthodoxes. En fait, c'était pire. Voici l'annonce qui a fini par sortir de sa jolie bouche en cœur :

            – Notre source de référence, c'est le Créationnisme.

            Si cela a laissé perplexe l'ensemble de la classe, le prof, lui, savait de quoi il s'agissait, et ce devait être un truc très exotique, car il s'est à peine retenu de pouffer de rire, avant de demander :

            – Voyons, nous parlons bien de cette doctrine qui s'oppose à la théorie de l'évolution, et qui postule que Dieu a créé l'univers en sept jours, il y a quelques milliers d'années ?

            – Un peu plus de six mille ans.

            Il fallait voir le curieux mouvement de bouche du professeur, traduisant son trouble qui aurait pu se formuler ainsi : « C'est du lard ou du cochon ? », ou encore « Elle est en train de se fiche de moi ou quoi ? » Il était tellement perturbé qu'il ne savait pas comment réagir. C'est finalement un élève, un de mes copains qui a envoyé le premier missile vers Kristina :

            – Attends, t'es sérieuse là ? Tu crois vraiment que le monde a été créé par Dieu en sept jours ?

            – Six. Le septième, il s'est reposé. Ne me regarde pas comme ça. Je ne suis pas une cinglée.

            – Mince, alors ! On ne t'a pas dit que depuis le Moyen-Âge on sait que la terre est ronde et qu'elle tourne autour du soleil ?

            – Nous ne contestons pas ça. Nous rejetons seulement les affirmations scientifiques qui voudraient donner à l'homme un ancêtre chimpanzé. Pour nous, la vérité, la seule qui mérite d'être entendue, est dans la bible et pas ailleurs. C'est tout… Enfin si, il y a quelques autres idées que nous défendons. Je peux les donner ?

            – Euh, ce n'est pas vraiment le lieu, hésita M. Rorjac. Nous sommes en cours et…

            – Ah si, moi je veux savoir ! ai-je lancé.

            J'ai eu le tort d'ajouter :

            – C'est trop drôle !

            – Qu'est-ce qui est drôle ? a répliqué Kristina. Qu'on ne pense pas comme toi ? Tu te prends pour qui ? Et tu crois en quoi, toi, d'abord ? En rien, évidemment puisque ton horizon s'arrête à ton obsession de sortir avec moi.

            Cris, sifflets et autres yohooo ! Elle a réussi à me faire rougir.

            – Je vais te dire en quoi on ne croit pas, a-t-elle repris, c'est dans l'égalité homme-femme.

            – Ah oui ? Tu peux nous expliquer ça ? ai-je demandé, en haussant les sourcils.

            – Les femmes sont supérieures aux hommes. Il n'y a qu'à t'écouter pour le comprendre : les hommes sont des brutes, des êtres primaires qui ont la moitié de leur cerveau dans leur slip, le reste dans les résultats du foot...

            – Tu ne serais pas en train de caricaturer, là ? a fait remarquer un élève.

            – Regardez comment les hommes gouvernent le monde, et ce qu'ils en ont fait depuis le début de l'histoire de l'humanité. Ils n'ont pas cessé de provoquer des guerres, de massacrer, de torturer, de commettre des génocides... Ils ont été incapables d'éradiquer la pauvreté, la violence, l'injustice. Si les premiers millénaires, depuis la Création, ont été dominés par les hommes, le troisième le sera par les femmes et ça ira beaucoup mieux. Mais pour cela, il faudra changer complètement de système. Et d'abord en finir avec la dictature des scientifiques. Ce sont des démons qui nous mènent à l'apocalypse !

            – Holà, je vous arrête, Kristina. On ne va pas refaire le monde aujourd'hui et sûrement pas dans cette salle, est intervenu le prof. Mais à l'occasion, il faudra qu'on reparle de tout cela. En attendant, revenons aux choses sé… pardon, à Victor Hugo.

            La messe était dite, pour le moment, car ce n'était qu'un amuse-bouche.

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